À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe est exsangue et à bout de souffle. Les anciens courants commerciaux sont rompus, les industries lourdes et de première nécessité, partiellement détruites, tournent au ralenti dans une Europe meurtrie et peu préparée à accueillir les millions de personnes déplacées pendant et à la fin du conflit. Reléguée au second plan sur la scène internationale par la montée en puissance des États-Unis et de l'Union soviétique et par leur rivalité grandissante, l'Europe occidentale divisée prend rapidement conscience que son salut passe par les chemins de l'unité et par la mise en commun, fût-ce avec le soutien financier, matériel ou militaire des Américains, de ses ressources économiques et par la création d'institutions communes et efficaces. Les temps, marqués par une grande instabilité politique qu'accompagnent de vives tensions sociales, sont à l'urgence et à la recherche de solutions diplomatiques originales, y compris à l'échelle régionale. Les débats liés au statut de l'Allemagne, où, à partir de 1961, la division de Berlin symbolise en Europe la Guerre froide entre les deux Grands, et l'affaiblissement inexorable des positions coloniales outre-mer rendent toujours plus criante la dépendance extérieure du Vieux Continent. Les mouvements pro-européens et les militants fédéralistes entrent alors en action et mènent une propagande active en faveur de l'unification européenne. Proches des milieux économiques, affichant une tendance politique particulière ou désireux, au contraire, de mobiliser l'ensemble de l'opinion publique, ces mouvements, dont certains sont issus de la Résistance, constituent en 1947 un Comité international de coordination des mouvements pour l'unité européenne. Ils convoquent également, en mai 1948, le Congrès de La Haye dont découlera la Mouvement européen (ME) créé à Bruxelles le 25 octobre 1948. |
Début de la Guerre Froide
La fin de la Seconde Guerre mondiale ne conduit pas à un retour à la normale mais annonce au contraire l'émergence d'un nouveau conflit, moins sanglant mais plus larvé et plus long : la Guerre froide. Les puissances alliées ne parviennent pas à se mettre d'accord sur un traité de paix avec l'Allemagne vaincue et soumise à une occupation quadripartite.
Les conflits d'intérêts entre les nouvelles puissances mondiales se multiplient et une atmosphère de méfiance et de peur s’installe. Il en résulte une longue période de tensions internationales, ponctuée de crises aiguës débouchant parfois sur des conflits militaires locaux sans pourtant déclencher une guerre ouverte entre les États-Unis et l'URSS. De 1947 à la fin de la Guerre froide, l'Europe, divisée en deux blocs, se trouve au centre de l'affrontement indirect entre les deux superpuissances. La Guerre froide atteint son premier moment fort lors du blocus de Berlin. L'explosion de la première bombe atomique soviétique, en été 1949, vient conforter l'URSS dans son rang de puissance mondiale. Cette situation confirme les prédictions de Winston Churchill qui, en mars 1946, est le premier homme d’État occidental à parler publiquement d'un "rideau de fer" qui coupe désormais l'Europe en deux. |
Division de l'Allemagne
Le bilan humain et matériel de la Seconde Guerre mondiale est le plus grave que l'humanité ait jamais connu. Bien que le conflit ait une dimension mondiale encore plus accusée que la guerre 1914-1918, c'est bien l'Europe qui est la première victime de l'affrontement. Le nombre total des victimes est estimé à près de 40 millions, dont plus de la moitié parmi les populations civiles. Suite aux déportations et aux expulsions, il y a, en 1945, près de vingt millions de personnes déplacées et en attente d'être rapatriées. Les persécutions racistes, religieuses et politiques sans précédent et les déportations massives dans des camps de travail ou d'extermination ont attisé la haine entre peuples européens. La découverte des charniers humains dans les camps de concentration nazis apparait comme une remise en cause des fondements spirituels et moraux de la civilisation occidentale. Du reste, la population allemande se trouve accablée par un sentiment de culpabilité qui alimente un intense débat moral et ajoute au désarroi de la défaite.
Du 4 au 11 février 1945, Winston Churchill, Joseph Staline et Franklin D. Roosevelt se réunissent à Yalta, au bord de la mer Noire, en Crimée, afin de régler les problèmes posés par la défaite inéluctable des Allemands. Ils s'entendent tout d'abord sur les modalités d’occupation de l'Allemagne. Même si la France ne participe pas à la conférence, elle reçoit une zone d'occupation en Allemagne en partie prélevée sur celles du Royaume-Uni et des États-Unis. Ils adoptent aussi le principe d'un démembrement du territoire allemand. En ce qui concerne la Pologne, ils se mettent d’accord sur de nouvelles frontières. Le pays connaît un glissement vers l'Ouest en perdant des territoires à l'Est au profit de l'Union soviétique et en gagnant au contraire des provinces de l'Allemagne orientale, ce qui implique le transfert de plusieurs millions d'Allemands. Les trois chefs d'État signent également une "Déclaration sur la politique à suivre dans les régions libérées", texte qui prévoit l'organisation d'élections libres et la mise en place de gouvernements démocratiques. Yalta apparaît comme l'ultime tentative d'organiser le monde sur une base de coopération et d'entente.
Le monde n'est pas encore partagé en deux hémisphères d'influence, mais les Occidentaux sont contraints d'accepter le rôle de Staline dans les territoires libérés par les chars soviétiques. L'Europe centrale et orientale est désormais sous l'influence exclusive de l'Armée rouge. Il semble que Staline soit d'avis que chaque puissance finira par imposer son système politique là où elle exerce le contrôle militaire.
À la Conférence des chefs d'État de Potsdam, qui se déroule du 17 juillet au 2 août 1945, Harry Truman remplace Franklin D. Roosevelt, décédé le 12 avril 1945, et Clement Attlee remplace en cours de conférence Winston Churchill battu aux élections législatives britanniques du 26 juillet. Seul Joseph Staline participe en personne à toutes les conférences interalliées depuis Téhéran en novembre-décembre 1943. La Conférence de Potsdam, située au cœur de l'Allemagne, s'occupe principalement de la situation en Europe. Toutefois, elle ne règle que provisoirement le sort de l'Allemagne en décidant, entre autres choses, des modalités pratiques de son désarmement complet, de la destruction du parti national-socialiste, de l'épuration et du jugement des criminels de guerre et du montant des réparations. Les négociations concluent aussi à la nécessité d'une décartellisation des industries allemandes et à la mise sous séquestre des puissants Konzerns qui doivent être éclatés en plus petites sociétés indépendantes.
Au cours de l'année 1945, les Alliés commencent à organiser leurs zones d'occupation respectives en Allemagne et en Autriche. Les Américains occupent le sud, les Britanniques l'ouest et le nord, la France le sud-ouest et les Soviétiques le centre de l’Allemagne. Le côté oriental est administré par la Pologne, sauf la ville de Königsberg (rebaptisée Kaliningrad) et ses environs, incorporés à l'URSS. Le 30 août 1945, un Conseil de contrôle interallié est mis en place. Berlin est divisée en quatre secteurs et soumise au contrôle administratif de la Kommandatura interalliée. En 1946, les principaux criminels de guerre nazis sont jugés à Nuremberg par des juges alliés. Cette même année, le sort des satellites de l'Allemagne et celui de l’Italie, de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Hongrie et de la Finlande, est réglé à Paris par des traités de paix séparés.
Le 28 juillet 1946, les États-Unis proposent un plan d'unification économique des zones d'occupation. Face au refus de la France et de l’Union soviétique, les Britanniques et les Américains décident d'unir économiquement leurs deux zones pour créer en décembre de la même année la Bizone. Le 1er août 1948, la zone d'occupation française intègre la Bizone qui devient donc une Trizone. Progressivement, l'entente entre les Alliés se détériore et les organismes quadripartites deviennent ingérables.
Du 20 avril au 2 juin 1948, les trois puissances se réunissent à Londres pour discuter de l'avenir du pays et décident de convoquer une assemblée constituante, le Conseil parlementaire allemand. Ses membres sont désignés par les parlements des États fédéraux, les Länder. Ces entités fédérales ont été créées par les puissances d'occupation en tenant plus ou moins compte des antécédents historiques. Tandis que l'État de Prusse est aboli par décision alliée, la Bavière est maintenue. Le 1er septembre 1948, le Conseil parlementaire commence ses travaux à Bonn. Il élit le démocrate-chrétien Konrad Adenauer à sa tête et élabore la Loi fondamentale qui est promulguée le 23 mai 1949. Cette loi représente la constitution provisoire de la République fédérale d'Allemagne (RFA). Son adoption par référendum donne lieu aux premières élections législatives pour l'ensemble de la Trizone. La ville de Bonn l'emporte sur Francfort comme capitale provisoire. La ville de Berlin-Ouest reçoit le statut de Land mais reste administrée par les Alliés. Il s'agit en effet de montrer que Berlin-Ouest fait partie de la RFA en dépit de son statut particulier.
Même si le droit de regard des puissances alliées occidentales limite encore la souveraineté allemande, la RFA se veut déjà la seule héritière légitime du Reich allemand, dissout lors de la capitulation sans condition de 1945. L'élection du Bundestag, en août 1949, consacre la victoire des chrétiens-démocrates (CDU) sur les socialistes (SPD) menés par Kurt Schumacher et dont certaines positions marxistes effraient parfois les occupants occidentaux. Les communistes et les libéraux ne récoltent que des résultats marginaux. La CDU, dirigée par Konrad Adenauer, s'affirme par contre comme le champion du retour de l'économie libérale. Adenauer, partenaire privilégié des Américains, devient le premier chancelier de la RFA.
En réaction à la fondation de la République fédérale d'Allemagne (RFA) à Bonn, l'URSS favorise, en octobre 1949, la proclamation de la République démocratique allemande (RDA) à Berlin. Berlin-Est devient aussitôt la capitale de la RDA. Les Occidentaux refusent de reconnaître cet État. Le Parti socialiste unifié (SED), parti stalinien, dirigé par des communistes, va dominer la vie politique de la RDA jusqu'à la fin du régime communiste en 1989.
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Blocus de Berlin
L'Allemagne devient rapidement un champ d'affrontement de la Guerre froide. Après avoir réorganisé politiquement leur zone d'occupation dans l'Allemagne vaincue, les Anglais et les Américains veulent aussi y relancer la vie économique, ce qui implique une réforme monétaire radicale. Le 20 juin 1948, les Occidentaux introduisent donc une nouvelle unité de compte. Le mark allemand, le Deutschemark (DM) est introduit dans toutes les zones occidentales et remplace le Reichsmark par trop déprécié. Cette réforme monétaire permet de remplir enfin les rayons des magasins de produits qui n'étaient plus alors disponibles que par le marché noir. Tandis que les communistes s'emparent de presque tous les postes de commande dans la zone orientale, les conceptions des anciens Alliés sur l'organisation économique et politique de l'Allemagne deviennent chaque jour plus contradictoires.
Espérant préserver l'unité de Berlin au cœur de la zone soviétique et dénonçant ce qu'elle considère comme une politique anglo-américaine du fait accompli, l'URSS réagit à cette initiative le 24 juin 1948 par le blocus total des secteurs occidentaux de Berlin. La ville est située dans la zone d'occupation soviétique mais les Américains, les Anglais et les Français sont installés dans leur zone d'occupation respective. Les voies d'accès terrestres, ferroviaires et fluviales vers Berlin sont coupées jusqu'au 12 mai 1949. Les fournitures de vivres et d'électricité sont rompues. L'introduction du DM dans les secteurs occidentaux de Berlin en est la cause officielle, mais l'Union soviétique cherche probablement à réduire l'îlot capitaliste dans sa zone d'occupation en obligeant les Britanniques, les Français et les Américains à quitter Berlin. Ceux-ci doivent réagir promptement : le pont aérien allié, mis en place par le général Lucius D. Clay, s'avère être la contre-mesure américaine appropriée.
Des milliers d'avions (plus de 270.000 vols au total) apportent chaque jour vivres, matériel de chauffage et autres objets de première nécessité dans la ville encerclée. En tout, plus de 13.000 tonnes de marchandises sont ainsi livrées chaque jour. Berlin devient l'un des principaux théâtres de la confrontation entre l'Est et l'Ouest. La division de l'Europe en deux blocs est consommée. La ville devient un symbole de liberté pour l'Occident. Les habitants de la ville ne sont plus désormais perçus comme d'anciens nazis qu'il faut punir mais comme des victimes de la menace soviétique. Quand, le 12 mai 1949, Staline décide de lever le blocus, le divorce politique de la ville est bel et bien consommé. Deux administrations municipales ont été mises en place et les Soviétiques ont procédé à la fusion des partis social-démocrate et communiste. Des élections démocratiques sont par contre organisées à Berlin-Ouest en décembre 1948 qui voient la victoire des sociaux-démocrates résolument anticommunistes. La réussite du pont aérien de Berlin permet de faire admettre aux opinions publiques occidentales le partage inéluctable de l'Allemagne. De part et d'autre du rideau de fer, la ville de Berlin devient la vitrine des modèles occidental et soviétique. Face au sentiment de menace soviétique, l'idée du réarmement de l'Allemagne et de son intégration dans une structure d'unification européenne apparaît de plus en plus prégnante aux yeux des Occidentaux. |
Fondation de la RFA
Le 2 décembre 1946, les Britanniques et les Américains décident de fusionner leur zone d'occupation respective. Avec l'adjonction de la zone française en 1948, l'Allemagne occidentale devient la Trizone. Du 20 avril au 2 juin 1948, les trois puissances se réunissent à Londres pour discuter de l'avenir du pays et décident de convoquer une assemblée constituante, le Conseil parlementaire allemand. Ses membres sont désignés par les parlements des États fédéraux, les Länder. Ces entités fédérales ont été créées par les puissances d'occupation en tenant plus ou moins compte des antécédents historiques. Tandis que l'Etat de Prusse est aboli par décision alliée, la Bavière est maintenue. Le 1er septembre 1948, le Conseil parlementaire commence ses travaux à Bonn. Il élit le démocrate-chrétien Konrad Adenauer à sa tête et élabore la Loi fondamentale qui est promulguée le 23 mai 1949. Cette loi représente la constitution provisoire de la République fédérale d'Allemagne (RFA). Son adoption par référendum donne lieu aux premières élections législatives pour l'ensemble de la Trizone. La ville de Bonn l'emporte sur Francfort comme capitale provisoire. La ville de Berlin-Ouest reçoit le statut de Land mais reste administrée par les Alliés. Il s'agit en effet de montrer que Berlin-Ouest fait partie de la RFA en dépit de son statut particulier et de favoriser le développement économique de la ville en accordant notamment des primes aux entreprises et aux fonctionnaires qui décident de venir s'y installer.
Même si le droit de regard des puissances alliées occidentales limite encore la souveraineté allemande, la RFA se veut déjà la seule héritière légitime du Reich allemand, dissout lors de la capitulation sans condition de 1945. L'élection du Bundestag, en août 1949, consacre la victoire des chrétiens-démocrates (CDU) sur les socialistes (SPD) menés par Kurt Schumacher et dont certaines positions marxistes effraient parfois les occupants occidentaux. Les communistes et les libéraux ne récoltent que des résultats marginaux. La CDU, dirigée par Konrad Adenauer, s'affirme par contre comme la champion du retour de l'économie libérale. Adenauer, partenaire privilégié des Américains, devient le premier chancelier de la RFA. |
Fondation de la RDA
En réaction à la fondation de la République fédérale d'Allemagne (RFA) à Bonn, l'URSS favorise, en octobre 1949, la proclamation de la République démocratique allemande (RDA) à Berlin. Berlin-Est devient aussitôt la capitale de la RDA. Les Occidentaux refusent de reconnaître cet Etat qui, à l'instar de la RFA, a la prétention de parler pour toute l'Allemagne. Le communiste Wilhelm Pieck devient président de la RDA et Otto Grotewohl, ancien social-démocrate, est nommé chef du gouvernement. C'est pourtant Walter Ulbricht, chef du Parti communiste, qui joue le rôle déterminant. Depuis 1946, le Parti social-démocrate (SPD) de la zone soviétique a en effet été contraint de fusionner avec le Parti communiste (KPD) pour former le Parti socialiste unifié (SED). Ce parti stalinien, dirigé par des communistes, va dominer la vie politique de la RDA jusqu'à la fin du régime communiste en 1989. |